Marie Jean Antoine Nicolas de Caritat, marquis de Condorcet
(1743-1794) heeft heel veel geschreven, variërend van een
economisch werk over monopolies in 1775, tot beschouwingen over de
houdbaarheid van grondwetten in 1791, tot zijn magnum opus in 1794
dat in de Nederlandse vertaling heet 'Schets van een historisch
tafereel der vorderingen van 's menschen geest'.
Maar er zijn er drie waar Etta op de een of andere manier op gereageerd heeft. Ze zijn allemaal op het internet als pdf's te vinden. In de volgorde waarin ze verschenen zijn:
■ Sur l'admission des femmes au droit de cité, zie
hieronder.
■ Déclaration de l'Assemblée Nationale aux
puissances de l'Europe, een verklaring eind 1791 over
de vredelievende bedoelingen van Frankrijk, dat door Etta is
vertaald en aan het parlement aangeboden, zie hier.
■ Adresse aux Bataves, eind 1792, ook verschenen in de
Nederlandse vertaling Bericht aan de Batavarieren, zie hier.
Het artikel verschijnt in de Journal de la Société de 1789
van 3 juli 1790, het is dertien pagina's lang, een vrije
samenvatting ervan staat bij Aulard, zie
hier, en een gedeeltelijke Engelse vertaling in The
French Revolution and Human Rights door Lynn Hurst. Met
dit artikel wordt, een klein jaar na de Revolutie, de discussie
over de deelname van vrouwen aan het politieke leven geopend.
Hier de volledige tekst, die ik nog een keer moet corrigeren:
L'habitude peut familiariser les hommes avec la violation de
leurs droits naturels, au point que parmi ceux qui les ont perdus,
personne ne songe à les réclamer, ne croie avoir éprouvé une
injustice. Il est même quelques-unes de ces violations qui ont
échappé aux philosophes et aux législateurs, lorsqu'ils
s'occupaient avec le plus de zèle d'établir les droits communs des
individus de l'espèce humaine, et d'en faire le fondement unique
des institutions politiques.
Par exemple, tous n'ont-ils pas violé le principe de l'égalité des
droits, en privant
tranquillement la moitié du genre humain de celui de concourir à
la formation des lois, en excluant les femmes du droit de cité?
Est-il une plus forte preuve du pouvoir de l'habitude, même surles
hommes éclairés, que de voir invoquer le principe de l'égalité des
droits en faveur de trois ou quatre cents hommes qu'un préjugé
absurde en avait privés, et l'oublier à l'égard de douze millions
de femmes?
Pour que cette exclusion ne fût pas un acte de tyrannie', il
faudrait ou prouver que les droits natureis des femmes ne sont pas
absolument les mêmes que ceux des hommes, ou montrer qu'elles ne
sont pas capables de les exercer.
Or, les droits des hommes résultent uniquement de ce' qu'ils sont
des êtres sensibles, susceptibles d'acquérir des idées morales, et
de raisonner sur ces idées. Ainsi les femmes ayant ces mêmes
qualités, ont nécessairement des droits égaux. Ou aucun individu
de l'espèce humaine n'a de véritables droits, ou tous ont les
mêmes; et celui qui vote contre le droit d'un autre, quels que
soient sa religion, sa couleur ou son sexe, a dès lors abjuré les
siens.
Il serait difficile de prouver que les femmes
sont incapables d'exercer les droits de cité. Pourquoi des êtres
exposés à des grossesses, et à des indispositions passagères, ne
pourraient-ils exercer des droits dont on n'a jamais imaginé de
priver les gens qui ont la goutte tous les hivers, et qui
s'enrhument aisément? En admettant dans les hommes une supériorité
d'esprit qui ne soit pas la suite nécessaire de la différence
d'éducation (ce qui n'esf rien moins que prouvé, et ce qui devrait
l'être, pour pouvoir, sans injustice, priver les femmes d'un droit
naturel), cette supériorité ne peut consister qu'en deux points.
On dit qu'aucune femme n'a fait de découverte importante dans les
sciences, n'a donnéde preuves de génie dans les arts, dans les
lettres, etc.; mais, sans doute, on ne prétendra point d'accorder
le droit de cité qu'aux seuls hommes de génie. On ajoute qu'aucune
femme n'a la même étendue de connaissances, la même force de
raison que certains hommes; mais qu'en résulte- t-il, qu'excepté
une classe peu nombreuse d'hommes très-éclairés, l'égalité est
entière entre les femmes et le reste des hommes; que cette petite
classe mise à part, l'infériorité et la supériorité se partagent
également entre les deux sexes. Or, puisqu'il serait complètement
absurde de borner
à cette classe supérieure le droit de cité, et la capacité
d'être chargé de fonctions publiques, pourquoi en exclurait-on les
femmes, plutôt que ceux des hommes qui sont inférieurs à un grand
nombre de femmes ?
Enfin, dira-t-on qu'il y ait dans l'esprit ou dans le cœur des
femmes quelques qualités qui doivent les exclure de la jouissance
de leurs droits naturels? Interrogeons d'abord les faits.
Élisabeth d'Angleterre, Marie-Thérèse, les deux Catherine de
Russie, ont prouvé que ce n'était ni la force d'âme, ni le courage
d'esprit qui manquait aux femmes.
Élisabeth avait toutes les petitesses des femmes; ont-elles fait
plus de tort à son règne que les petitesses des hommes à celui de
son père ou de son successeur? Les amants de quelques impératrices
ont-ils exercé une influence plus dangereuse que celle des
maîtresses de Louis XIV, de Louis XV, ou même de Henri IV?
Croit.on que mistriss Macaulay n'eût pas mieux opiné dans la
chambre des communes que beaucoup de représentants de la nation
britannique? N'aurait-elle pas, en traitant la question de la
liberté de conscience, montré
des principes plus élevés que ceux de Pitt, et une raison plus
forte? Quoique aussi enthousiaste de la liberté que M. Burke peut
l'être de la tyrannie, aurait-elle, en défendant la constitution
française, approché de l'absurde et dégoûtant galimatias par
lequel ce célèbre rhétoricien vient de la combattre? Les droits
des citoyens n'auraient-ils pas été mieux défendus, en France, aux
états de 1614, par la fille adoptive de Montaigne, que par le
conseiller Courtin, qui croyait aux sortiléges et aux vertus
occultes ? La princesse des Ursins ne valait-elle pas un peu mieux
que Chamillard ? Croit-on que la marquise du Châtelet n'eût pas
fait une dépêche aussi bien que M. Rouillé? Madame de Lambert
aurait-elle fait des lois aussi absurdes et aussi barbares que
celles du garde des sceaux d'Armenonville, contre les protestants,
les voleurs domestiques, les contrebandiers et les nègres? En
jetant les yeux sur la liste de ceux qui les ont gouvernés, les
hommes n'ont pas le droit d'être si fiers.
Les femmes sont supérieures aux hommes dans les vertus douces et
domestiques; elles savent, comme les hommes, aimer la liberté
quoiqu'elles n'en partagent point tous les avantages et, dans les
républiques, on les a vues
souvent se sacrifier pour elle elles ont'montré les vertus de
citoyen toutes les fois yue le hasard ou les troubles civils les
ont amenées sur une scène dont l'orgueil et la tyrannie des hommes
les ont écartées chez tous les peuples.
On a dit que les femmes, malgré beaucoup d'esprit, de sagacité, el
la faculté de raisonner portée au même degré que chez de subtils
dialecticiens, n'étaient jamais conduites par ce qu'on appelle la
raison.
Cette observation est fausse elles ne sont pas conduites, il est
vrai, par la raison des hommes, mais elles le sont par la leur.
Leurs intérêts n'étant pas les mêmes, par la faute des lois, les
mêmes choses n'ayant point pour elles la même importance que pour
nous, elles peuvent, sans manquer à la raison, se déterminer par
d'autres principes et tendre à un but différent. Il est aussi
raisonnable à une femme de s'occuper des agréments de sa figure,
qu'il l'était à Démosthène de soigner sa voix et ses gestes.
On a dit que les femmes, quoique meilleures que les hommes, plus
douces, plus sensibles, moins sujettes aux vices qui tiennent à
l'égoïsme et à la dureté du coeur, n'avaient pas proprement le
sentiment de la justice; qu'elles obéissaient plutôt à leur
sentiment qu'à leur conscience.
Cette observation est plus vraie, mais elle ne prouve rien ce
n'est pas la nature, c'est l'éducation, c'est l'existence sociale
qui cause cette différence. Ni l'une ni l'autre n'ont accoutumé
les femmes à l'idée de ce qui est juste, mais à celle de ce qui
est honnête. Éloignées des affaires, de tout ce qui se décide
d'après la justice rigoureuse, d'après des lois positives., les
choses dont elles s'occupent, ^or lesquelles elles agissent, sont
précisément cètles qui se règlent par l'honnêteté naturelle et par
le sentiment. Il est donc injuste d'alléguer, pour continuer de
refuser aux femmes la jouissance de leurs droits-naturels, des
motifs qui n'ont une' sorte de réalité que parce qu'elles ne
jouissent pas de ces droits.
Si on admettait contre les femmes des raisons semblables, il
faudrait aussi priver du droit de cité la partie du peuple qui,
vouée à des travaux sans relâche, ne peut ni acquérir des
lumières, ni exercer sa raison, et bientôt, de proche en proche,
on ne permettrait d'être citoyens qu'aux hommes qui ont fait un
cours de droit public. Si on admet de tels principes, il faut, par
une conséquence nécessaire, renoncer à toute constitution libre.
l.es diverses aristocraties n'ont eu que de semblables prétextes
pour fondement ou pour excuse;
l'étymologie même de ce mot en est la preuve.
On ne peut alléguer la dépendance où les femmes sont de leurs
maris, puisqu'il serait possible de détruire en même temps cette
tyrannie de la loi civile, et que jamais une injustice ne peut
être un motif d'en commettre une autre.
Il ne reste donc que deux objections à discuter. A la vérité,
elles n'opposent à l'admission des femmes au droit de cité que des
motifs d'utilité, motifs qui ne peuvent contre-balancer un
véritable droit. Lamaxime contraire a été trop souvent le prétexte
et l'excuse des tyrans; c'est au nom de l'utilité que le commerce
et l'industrie gémissent dans les chaînes, et que l'Africain reste
dévoué à l'esclavage; c'est au nom de l'utilité publique qu'on
remplissait la Bastille, qu'oninstituait des censeurs de livres,
qu'on tenait la prõ cédure secrète, qu'on donnait la question.
Cependant nous discuterons ces objections, pour ne rien laisser
sans réponse.
On aurait à craindie, dit-on, l'influence des femmi» sur les
hommes.
Nous répondrons d'abord que cette influence, comme toute autre,
est bien plus à redouter dans le secret que dans une discussion
publique;
que celle qui peut être particulière aux femmes y perdrait
d'autant plus, que, si elle s'étend au delà d'un seul individu,
elle ne peut être durable dès qu'elle est connue. D'ailleurs,
comme jusqu'ici les femmes n'ont été admises dans aucun pays à une
égalité absolue, comme leur empire n'en a pas moins existé
partout, et que plus les femmes ont été avilies par les lois, plus
il a été dangereux, il ne parait pas qu'on doive avoir beaucoup de
confiance à ce remède. N'est-il pas vraisemblable, au contraire,
que cet empire diminuerait si les femmes avaient moins d'intérêt à
le couserver, s'il cessait d'être pour elles le seul moyen de se
défendre et d'échapper à l'oppression ?
Si la politesse ne permet pas à la plupart des hommes de soutenir
leur opinion contre une femme dans la société, cette politesse
tient beaucoup à l'orgueil; on cède une victoire sans conséquence;
la défaire n'humilie point parce qu'on la regarde comme
volontaire. Croit-on sérieusement qu'il en fût de même dans une
discussion publique sur un objet important? La politesse
empêche-t-elle de plaider contre une femme?
Mais, dira-t-on, ce changement serait contraire à l'utilité
générale, parce qu'il écarteroit
les femmes des soins que la nature semble leur avoir réservés.
Cette objection ne me parait pas bien fondée. Quelque constitution
que l'on établisse, il est certain que, dans l'état actuel de la
civilisation des nations européennes, il n'yaura jamais qu'un
très-petit nombre de citoyens qui puissent s'occuper des affaires
publiques. On n'arracherait pas les femmes à leur ménage plus que
l'on n'arrache les laboureurs à leurs charrues, les artisans à
leurs ateliers. Dans les classes plus riches, nous ne voyons nulle
part les femmes se livrer aux soins domestiques d'une manière
assez continue pour craindre de les en distraire, et une
occupation sérieuse les. en détournerait beaucoup moins que les
goûts futiles auxquels l'oisiveté et la mauvaise éducation les
condamnent.
La cause principale de cette crainte est l'idée que tout homme
admis à jouir des droits de cité ne pense plus qu'à gouverner; ce
qui peut être vrai jusqu'à un certain point dans le moment où une
constitution s'établit; mais ce mouvement ne saurait être durable.
Ainsi il ne faut pas croire que parce que les femmes pourraient
être membres des assemblées nationales, elles abandonneraient sur
le champ lèurs enfants,
leur ménage, leur aiguille. Elles n'en seraient que plus propres
à élever leurs enfants, "à former des hommes. Il est naturel que
la femme allaite ses enfants, qu'elle soigne leurs premières
années; attachée à sa maison par ces soins, plus faible que
l'homme, il est naturel encore qu'elle mène une vie plus retirée,
plus domestique. Les femmes seraient donc dans la même classe que
les hommes obligés par leur état à des soins de quelques heures.
Ce peut être un motif de nepas les préférer dans les élections,
mais ce ne peut être le fondement d'une exclusion légale. La
galanterie perdrait à ce changement, mais les mœurs domestiques
gagneraient par cette égalité comme par.toute autre.
Jusqu'ici, tous les peuples connus ont eu des mœurs ou féroces ou
corrompues. Je ne connais- d'exception qu'en faveur des Américains
des États-Unis qui sont répandus en petit nombre sur un grand
territoire. Jusqu'ici, chez tous les peuples, l'inégalité légale a
existé entre les hommes et les femmes; et il ne serait pas
difficile de prouver que dans ces deux phénomènes, également
généraux, le second est une des principales causes du premier; car
l'inégalité introduit nécessairement la corruption, et
en est la source la plus commune, si même elle n'est pas la
seule.
Je demande maintenant qu'on daigne réfuter ces raisons autrement
que par des plaisanteries et des déclamations; que surtout on me
montre entre les hommes et les femmes une différence naturelle,
qui puisse légitimement fonder l'exclusion du droit. L'égalité des
droits établie entre les hommes, dans notre nouvelle constitution,
nous a valu d'élo-quentes déclamations et d'intarissables
plaisanteries mais, jusqu'ici, personne n'a pu encore y opposer
une seule raison, et ce n'est sûrement ni faute de talent, ni
faute de zèle. J'osé croire qu'il en sera de même de l'égalité des
droits entre les deux sexes. Il est assez singulier que dans un
grand nombre de pays on ait cru les femmes incapables de toute
fonction publique, et dignes^de la royauté; qu'en France une femme
ait pu être régente, et que jusqu'en 1776 elle ne pût être
marchande de modes à Paris (1); qu'enfin, dans
les assemblées électives de nos bail- liages, on ait accordé au
droit du fief, ce qu'on refusait au droit de la nature. Plusieurs
de nos députés nobles doivent à des dames, l'honneur de siéger
parmi les représentants de la nation. Pourquoi, au lieu d'ôter ce
droit aux femmes propriétaires de fiefs, ne pas l'étendre à toutes
celles qui ont des propriétés, qui sont chefs de maison? Pourquoi,
si l'on trouves absurde d'exercer par procureur le droit de cité,
enlever ce droit aux femmes, plutôt que de leur laisser la liberté
de l'exercer en personne?
Cet article est de M. de CONDORCET
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