Er wordt gecorrespondeerd over een nieuw boek van Etta in de
navolgende brieven (welke ook allemaal genoemd worden in de
verantwoording van hoofdstuk 3 pagina 83 en pagina 85):
■ 2 jan 1790, raadpensionaris Van de Spiegel aan de Prinses, uit RGP1 noot bij pagina LII van de inleiding, zie hier.
■ 18 jan 1790, Van de Spiegel aan Etta, zie helemaal onderaan de brief.
■ 12 feb 1790,Van de Spiegel aan Etta, zie onderaan de
brief.
■ 11 maart 1790, Van de Spiegel aan Etta, in welke
brief hij mededeelt dat hij het manuscript op haar verzoek
heeft gezonden aan iemand die voor het drukken zal zorgen;
■ 30 maart 1790, Van de Spiegel aan Etta over een opdracht in het boek, zie hier,
■ 7 juni 1790, brief van Etta aan Van de Spiegel, waarin
ze op het eind uitlegt waarom het boek nog niet gedrukt is, zie hier.
De vraag is over welk manuscript het hier gaat.
Van de bewaard gebleven (en dat is een BELANGRIJK
VOORBEHOUD) pamfletten, is dit de enige die door Etta geschreven
zou kunnen zijn.
Wat er voor pleit:
■ de e-n-o-r-m-e gehechtheid, tot op het kruiperige af, aan de
prinses en de rest van het Huis van Oranje;
■ de bescheidenheid over het eigen schrijfwerk (in die tijd wel
gebruikelijk, maar er wordt hier echt overdreven veel over
gedaan),
plus een aantal stijlkenmerken:
■ tamelijk eenvoudig woordgebruik;
■ eerder spreektaal dan schrijftaal;
■ relatief korte zinnen, vooral ten opzichte van wat in die tijd
gebruikelijk was;
■ het gebruik van tussenwerpsels als 'Eh' en 'Ah' (hieronder voor
het gemak even vet gemaakt).
Wat er tegen pleit:
■ het teken '&' in de betekenis 'en' wordt door haar niet
gebruikt in de Aanmerkingen op het werk van Mirabeau en in
het Appel (maar dat kan ook een beslissing van de zetter
zijn, want het teken werd in veel geschriften gebruikt);
■ ze ondertekent brieven altijd als nederige en gehoorzamen
'servante' en niet 'serviteur';
■ het voorplat geeft als jaar van verschijnen 1788, terwijl er in
1790 nog geschreven wordt over het manuscript (maar antidateren
kwam vaker voor),
Kortom, ik weet het niet zeker, ik heb er twijfels bij, maar een
ander in aanmerking komend boek heb ik niet gevonden.
Ik heb het zelf ooit pagina voor pagina opgehaald bij de website Durch Pamphlets Online, maar inmiddels staat het boek als pdf op googlebooks. Hieronder de tekst van het boek.
A SON ALTESSE ROYALE
Madame la Princesse d'Orange & de
Nassau
MADAME,
A qui autre qu'à VOTRE
ALTESSE ROYALE devrois-je dédier ces superficielles Reflexions
? Ecrites à la hâte & assez décousues, elles en font,
j'avoue, quant au fond très-peu digne.
Mais la vérité qui blesse le foible, & irrite le méchant,
trouve en Vous, MADAME, une puissante protectrice, & je
n'ai pas écrit une seule ligne que je ne croie vérité.
Je ne m'inquiéte donc pas du
jufement que portera VOTRE ALTESSE ROYALE sur mes intentions.
Non, un doute pareil ne peut entrer dans mon coeur; &
quelque foit celui qu'elle se forme de mes idées que j'abandonne
au tems qui en décidéra, j'ai du moins le plaisir de lui
témoigner en public combien je l'honore.
Oui, rien ne fauroit altérer ma profonde vénération pour son
auguste Personne, puisque je fais aprécier toutes les qualités
qui la distinguent, & je ferai toute ma vie avec le plus
profond respect,
DE VOTRE ALTESSE ROYALE,
Le très-humble & très-obéissant serviteur
AU LECTEUR
Comme je n'aimerois pas que l'on put croire
que j'attache beaucoup de prix à ces peux de lignes, je dois
remarquer que je pense seulement avoir prouvé qu'on ne sauroit
applaudir au but de l'Auteur de l 'AVIS AUX BATAVES; & qu'au
reste il me semble que toute personne impartiale doit à peu-près
avoir fait les mêmes réflexions.
S'ailleurs personne ne sait mieux que moi-même, qu'il ne
m'appartiendroit pas dans d'autres circonstances de prendre la
plume contre un Ecrivain tel que le Comte DE MIRABEAU, dont
j'admire le génie, mais qui pour cela même m'a surpris
d'avantage par ce dernier écrit.
Cependant je conçois quel effet les évenemens & les
discoursde plusiers personnes aigries & malheureuses ont pu
faire sur un homme de cette trempe.
Toujours pourtant les coeurs chauds
sont sujets à des écarts, que l'homme froid
blâme d'autant plus qu'il n'en a pas d'idée, &
quelqu'inconcevable que soit la license exessive du Comte DE
MIRABEAU, il s'est nomme, & je le crois capable d'avouer
généreusement que son imagination l'avoit égard.
JE reconnois les miens du Comte De Mirabeau, je sens ma
ſoiblesse & pourtant je prens la plume; mais la vérité va la
guider, & pourvu que l’on sente que je la cherche plus que
lui, c’est tout ce que je désire.
Les gens de bien dans la République, de quelque parti qu'ils aient
été, sentent le besoin de réunir les esprits, & sont loin
d’aspirer à un
bouleversement qui englouteroit la Patrie; les honnétes Partisans
du Stadhouderat sont sensibles au sort de leurs Compatriotes
expatriés, tandis que les gens raisonnables de l‘opposition
conviennent que leur parti a poussé trop loin ses démarches.
Il est bien vrai qu’il y a encore beaucoup d’effervescence dans le
pays; mais il suffit que les honnêtes gens soient revenus à la
vérité, pour qu’on puisse esperer qu’ils prendront le dessus sur
des personnes, qui de quelque parti qu’ils soient, prouvent ou
bien un défaut d’intelligence, ou bien peu d’amour pour la Patrie.
Si donc l’Avis aux Baraves étoit écrit en notre langue, il
seroit inutile de faire les Observations suivantes; mais cet écrit
doit faire plus d'effet dans d’autres pays, où de ſortes pensées
produiront d’autant plus d’impression, qu’elles sont énoncées dans
un style propre à faire illusion, & qu’on n’y est pas à même
d’en examiner la justesse.
Avant d’aller plus loin il m’importe de rendre compte de mes
principes. Je sais que dans les désunions civiles il ſaut prendre
parti, que les circonstances aussi bien que la maniere d'envisager
les choses ont sur nos actions beaucoup d’influence, que
l’événement fixe l’opinion & que
la justice sévit en conséquence. D'après ces idées je n’ai jamais
haï ceux qui ne pensoient pas comme moi, & à Dieu ne plaise
que je me réjouisse à présent aux dépens de mes Concitoyens; je
souffre de l’activité d’une justice que l’on croit nécessaire,
puisqu’il se trouve parmi ceux contre lesquels elle agit beaucoup
de gens de probité & qu'il y en a que j’honore.
Avec ces principes, je sais d’avance que je ne plairai pas à
beaucoup de personnes, qui avec leur façon de voir, jureront que
je suis ennemi de la Maison d’Orange; mais je suis sur de me
concilier l’approbation de la meilleure partie de mes
Compatriotes, qu’elle qu'aie été leur opinion.
Oui, mes dignes & respectables Concitoyens! ce n’est pas la
vanité qui me ſait dire cela; mes intentions sont pures, vos
coeurs le sentiront, & que m’importe le jugement des autres,
si vous me rendez justice?
Il faut remercier Mr De Mirabeau des éloges qu’il donne à
notre nation; mais qui le remercira de ce qu’il n'en dit tant de
bien que pour la pouser à s'entre-égorger s‘il étoit possible?
Ou est l’homme assez borné pour ne pas sentir que jamais pays
n’auroit subi de plus terrible catastrophe, si les voeux de cet
Écrivain ſrénétique
étoient remplis? Je ne reconnois pas là celui qui par l’énergie de sa plume dans un ouvrage plein d'amour pour l’humanité, rendit le Ministere attentif sur ce qui ſe passoit au château de Vincennes.
Mr. De Mirabeau avance superficiellement avec une audace
peu commune tant de faits sujets à caution, qu’il faudroit faire
des volumes pour les examiner; mais qui seroit cela, qui se
donnera la peine de réſuter solidement un homme qui s’abandonne
sans reſiéchir à une imagination ſougeuse?
Aussi mes superficielles Observations ne sont pas une reponse, je
ne le suivrai point dans ses discussions, si j’en dis assez pour
faire sentir que Mr. De Mirabeau a souvent été aussi peu
vrai que juste; le reste de son ouvrage sera jugé.
D'abord il suffit de remarquer en général sur les imputations
faites contre les Princes d’Orange, qu’en s'attachant aux défauts
des hommes, on fait des portraits aussi ſaux que ceux qui sont
dictés par la flatterie.
Que sans doute les François raisonnables seroient bien surpris, si
on vouloit justifier les oppositions parlementaires par la
conduite des Ancètres du Roi; & que pour plus de preuves, on
cita l’ambition de Henri IV, qui lui ſlt dire: un trône vaut
bien une messe. Un
François raifonnable fe moqueroit certainement d'une telle
preuve, il pafferoit Louis XIV avec fa fauffe gloire fous filence;
mais fon cœur excité par la réconnoiffance due au grand &
noble Henri, tenteroit fon apologie par respect pour fa mémoire.
Notre nation doit clle moins de reconnoiffance à Guillaume I?
L'objet de fa vénération feroit-il inférieur à Henri? J'ignore ce
qu'eut été Guillaume à fa place, mais je fais bien qu'Henri dans
la pofition de Guillaume, n'eut rien fait pour la patrie &
auroit apparemment fubi le fort des Horn & des Egmont. Mr. De
Mirabeau fait peindre avec force & s'il le veut, avec vérité;
qu'il fuive ces deux Princes dans leurs actions, dans leur vie
publique & privée, & voyons à qui il donnera la
préférence.
On croit que Guillaume I a recherché le pofte de Ruart de
Braband, afin de fe frayer le chemin vers le Gouvernement général
des Pays-Bas; on fait qu'il a beaucoup négocié pour obtenir la
Souveraineté d'Hollande, Zélande & Utrecht. Cependant difent
les gens non prévenus: on doit reconnoitre que ce grand Prince n'a
jamais facrifié le bien public à fon intérêt particulier; mais
qu'il la été affez vertueux, affez éclairé pour favoir les réunir;
auffi les Etats d'Hollande donnerent à
cet admirable Prince dans certaine déduction de l'année 1654,
& ainfi du tems de De Witt ? le glorieux témoignage; "Qu'il
étoit celui par la sage conduite duquel; jointe aux grandes
peines, foins pénibles & foucis continuels des États
d'Hollande & de Zélande; les fonde» mens de la liberté de ce
pays ont été pofés;
& cela dans un tems, que le dit Prince n'en pouvoit
recueillir aucun avantage, ni pour fa gloire, ni pour fon
autorité; mais en répan» doit au contraire fur l'État, par fa
direction & présence."
Pour juftifier ceci, il fuffit de jetter un coup d'œil fur le
tems que le Prince fe trouvoit Stadhouder d'Hollande &c.,
& devoit felon l'intention du Roi Philippe faciliter
l'exécution de fes ordres barbares. Mais fon amour pour la
religion & la liberté, ou plutôt fes vœux pour le bien du
pays, prévalurent fur ce que fon ambition avoit à craindre, &
fentant lors de l'arrivée du Duc d'Albe dans ces provinces, ce
qu'il devoit apréhender, il réfolut de partir pour l'Allemagne.
C'eft là que fe conduifant avec fa rare prudence, if ne repondit
pas dabord aux vœux de ceux qui le prioient d'avoir pitié d'eux
& du pays, & ne s'y réfolut, que lorsque le Roi lui avoit
donné des
raifons de plaintes particulieres & l'y invita pour ainfi
dire. Alors il fit de fon mieux pour raffembler de l'argent &
des troupes; tandis que les États lui décernoient pendant la
guerre la fuprême puiffance, puifqu'il falloit fouvent prendre des
réfolutions précipitées, & que le nom du Prince infpiroit plus
de refpect que celui des États. D'ail leurs l'Archiduc Matthias
prouve combien dans ce tems il étoit néceffaire de décerner à l'un
ou à l'autre la fuprême puiffance, & c'cft pourquoi il n'y a
pas lieu de s'étonner, que les États fe difpoferent à créer Comte
de Hollande un Prince, dont les hiftoires atteftent, la
pénétration d'efprit, l'amour du bien public & la prudence.
Mais Guillaume I avoit de l'ambiton! Mr. De Mirabeau n'eft
pas ici de bonne foi. Qu'il confulte fon propre cœur, & celui
de tous les hommes, il ne trouvera rien qui excufe le peu de
juftice qu'il rend à un des meilleurs Princes. Comme les armes de
la raifon valent mieux que les faits, contre un ouvrage tel que
l'Avis aux Bataves, c'est ici le moment de faire une diftinction
trés-reélle. Nous avons vu un Washington rentrer volontairement
dans la claffe des Citoyens ordinaires, & l'antiquité offre
plufieurs exemples pareils. Je connois même un homme du parti que
Mr. De Mirabeau défend, qui, après avoir joué un grand rôle, auroit remercié pour la Régence, fi fon parti avoit prévalu. Mon cœur l'honore quoique mes principes foient oppofés aux fiens, & je fuis bien aise de lui rendre ici cet hommage public. Mais un Prince refte toujours Prince; les poftes qu'il occupe doivent être proportionés à fon rang & à fa naiffance, & prétendre que Guillaume I, qui jouiffoit de la faveur de Charles Quint, & auroit confervé celle de Philippe, s'il n'avoit eu l'ame trop grande & trop belle pour être l'instrument de fa tyrannie; prétendre dis-je qu'un tel Prince fe fut contenté d'être un des premiers citoyens de la République; c'cft vouloir que la force devienne foibleffe; c'est vouloir étouffer le fentiment que devoit avoir un tel Prince de fa propre grandeur, & des fervices qu'il avoit rendus à la patric. Revêtu par les États de l'autorité fouveraine, pourquoi Mr. De Mirabeau le blamet-il d'avoir nommé Sonoy fon Lieutenant par une patente délivrée en fon nom, & de plufieurs autres chofes ? Et fi comme il le foutient Guillaume I n'a pas été martyr de la liberté, qui donc l'étoit jamais? Quel Prince a risqué davantage pour un pays? Quel Prince lui a rendu de plus importans fervices?
Mr. De Mirabeau femble faire l'éloge du tems que ces contrées
étoient régies par les Comtes; il paroît infinuer qu'alors les
États & les Magiftrats favoient maintenir leurs privilèges ;
& ne l'auroientils pas pu dans la fuite? Si le nom feul de Sou
verain fait la différence, & que dans le fond les Stadhouders
ont plus de puiffance qu'en avoient les Comtes, en feroit-il
réfulté tant de mal, fi Guillaume I avoit reçu le prix de fes
fervices? Tout Prince cherche à affermir fon autorité, il le doit
à fa maifon, à foi-même; mais un bon Prince ne cherche pas à
arracher les priviléges à fes peuples auffitôt que fon autorité
eft établie fur une bafe solide, & que fon pays ne fauroit
fleurir fans la liberté. Guillaume I, Comte d'Hollande, eut fait
le bonheur de fon peuple, & fes fucceffeurs auroient fenti,
qu'il étoit glorieux de mar cher fur fes traces. Les noms des
Barneveld & des De Witt, paroítroient avec un éclat honora❤
ble dans notre hiftoire, & tous les troubles pour & contre
les Stadhouders n'auroient jamais exifté.
Prince magnanime! s'il eft vrai que les yeux de ceux qui fe
trouvent dans l'empirée foient ou verts fur les mortels, acceptez
le tribut de récon noiffance, que te rend foiblement un Citoyen du
pays qui te doit fon bonheur, mais dont le cœur eft
plein d'admiration pour l'ame fublime, qui, après t'avoir animé,
a réjoint fa divine effence!
Mr. De Mirabeau, après avoir fuivi partialement les
Succeffeurs de Guillaume I, croit fans doute avoir démontré le
danger du Stadhouderat, par tout ce qu'il avance fur Guillaume III
& le Penfionaire De Witt; mais les argumens qu'il produit ne
combattent ils pas fa propre théfe? La peinture qu'il fait d'un
grand homime & du bonheur de la République fous fon miniftere,
ne prouveroit-elle pas la néceffité d'un point de réunion qui lie
les parties? Et ne pourroit-on pas tout auffi bien dire (fauf la
comparaifon perfonnelle) voyez l'Angleterre fous Cromwell;
a-t-elle jamais été plus refpectée, plus puiffante, tant pour le
dehors que pour l'intérieur? & cependant les Anglois ont
préféré un Roi à un Protecteur ! quelle lâcheté! aimer mieux
d'être fujets, qu'à être protegés.
Tout ce que Mr. De Mirabeau avance, dit feulement que Mr.
De Witt étoit un grand homme, & prouve fi peu l'inutilité du
Stadhouderat, qu'il prouve au contraire que Mr.
De Witt occupoit fa place. Auffi les Écrivains impartiaux de ce
tems dilent, que Mr. De Witt augmentoit fon influence dans les
Régences des villes, en les rempliffant
peu à peu de perfonnes qui lui étoient dévouées; qu'il a fouvent
abufé de fon autorité pour procurer les meilleurs emplois à fes
parens, ou à fes amis; qu'enfin il a fait ce qu'il a pu pour
écarter le Prince d'Orange, contre le fentiment des autres
provinces, & contre celui de plufieurs principaux Régens de la
Hollande, qui ne pouvoient fouffrir, que leur égal en rang &
en naiffance, s'arrogeat la principale partie du Gouvernement.
Ma conclufion eft donc la négative de celle de M. De
Mirabeau, d'autant plus, qu'un fr grand homme excitoit contre lui
la haine & l'envie, & que ces grands coups d'autorité
qu'on admire dans De Witt, comme le réfultat de juftes
combinaisons pour le bien-être de la République, feroicnt
infailliblement perdre la tête au particulier médiocre, qui
oferoit les entreprendre.
Si l'on vouloit fuivre l'exemple de Mr. De Mirabeau, on
pourroit déclamer ici contre De Witt à fon aife; mais foyons plus
juftes. Mr. De Witt fentoit la force de fes talens, il ne pouvoit
les développer fans une grande influence; & qui le blamera
d'avoir taché de l'obtenir, puifque les belles ames en font
toujours un noble ufage. Mais quelqu'horreur qu'infpire la fin de
ce grand homme, n'eft-elle pas un effet naturel des paffions
(pagina 16, ongecorrigeerd)
humaines? Est-il fi étrange que des enthoufiaf tes, aigris par les
menées de De Witt, pour exclure le Prince, fe foient portés à ce
crime? Si Mr. De Mirabeau cut fréquenté notre pays dans les
derniers troubles, il cut vu ce que peut fur une nation l'efprit
de vertige; & pourquoi fautil dire à notre honte, qu'on en
voit encore les funeftes effcts! Au refte, me préferve le ciel, de
vouloir excufer un affaffinat, qui a perdu un des plus grands
hommes qui furent jamais; le crime eft toujours crime, mais il en
cft qui font l'effet des circonstances, & nous apparoiffent
fouvent dans un tout autre jour, quand nous examinons les réplis
tortueux de cet inconcevable cœur, dont les impreffions font auffi
variées que contradictoires.
Je rends donc juftice à l'illuftre De Witt, mais fi Guillaume I
avoit vêcu dans ces tems-là, foit comme Comte, foit comme
Stadhouder, eut-il fait moins pour la Patrie? Quand le génic fe
trouve joint à une ame bienfaifante, on reconnoît en lui un rayon
de la vérité éternelle; & rendons grace à Dieu de ce que
quelquefois de tels hommes paroiffent fur la fcéne du monde; car
que deviendrions nous, s'il n'en naiffoient plus, pour reparer les
effets de la perverfité humaine ?
Mr. De Mirabeau dit, d'après Mr. De Montef quieu, que
l'ariftocratie la moins imparfaite eft celle qui avoifine le plus
à la démocratie; mais pourroit-elle y avoifiner chez-nous fans un
Stadhouder? Y avoifine t-elle affez, cft une autre queftion.
Question qui mérite l'attention particu liere du Stadhouder dans
des tems plus tranquilles.L'arifto-democratie doit être maintenue
par une troificme force qui produit l'équilibre. Le gouvernement
du pays des Grifons, démocratique par fa nature, n'eft en réalité
qu'une mauvaise ariftocratie, puifque les loix qui ne l'ont pas
prévue, n'ont rien ftatué pour fubvenir aux inconvéniens. Sans une
troifieme puiffance intéreffée à maintenir les deux autres, une
République doit toujours dégénérer en aristocratie, puifque le
peuple doit être, à la longue, dupe de l'ambition de ceux dont
l'intérêt eft oppofé au ficn.
Cependant il faut en convenir : cette troificme puiffance a
quelquefois fait chez-nous un abus de fon pouvoir; des Adulateurs
ambitieux ont dans d'autres tems furpris la religion du
Stadhouder, en le flattant fur fon autorité, afin de le convaincre
qu'il pouvoit s'en fervir dans des cas où il fouloit les droits de
la nation. Mais ces violateurs de leur ferment, très-indifférens
fur la vraie
gloire du Prince, pourvu qu’ils étendoient leur influence,
étoient les seuls coupables.
Quel Prince peut toujours être en garde contre de tels attentats
dans un pays où le Gouvernement est si cornpliqué &
susceptible de tant de fausses interprétations ?
La seule chose que les Princes pourroient & devraient ſaire,
c'est de ne jamais pardonner à l’homme bas qui leur en impose
& les fait manquer à leur devoir.
Mais ils sont hommes ! leur confiance n’est souvent qu’habitude,
& aucun Prince ne sauroit se tenir à ce salutaire principe,
sans avoir beaucoup de force dans le caractére.
Cette réflexion est bien triste, mais n’en est pas moins vraie.
Hommes droits & honnétes l vous me l’avouerez.
Ces vérités prouvent donc seulement qu’on peut induire en erreur
un Stadhouder, puisqu’il est facile de faire voir que son intérêt
est de respecter les droits de la nation.
Si on s’attache à suivre les hommes dans ce qu‘on peut leur
reprocher, il n’y en a pas qui soient à l'abri de la censure; le
melange du mal & du bien se trouve chez les plus vertueux,
& ce n'est que le plus ou le moins qui fixe la réputation.
Quand mème le portrait que fait Mr. De Mirabeau de Guillaume III
seroit aussi vrai qu’il est outré, il prouveroit tout
aussi peu contre le Stadhouderat que celui de Louis XIV prouve
contre la monarchie: ceci se sent & n'a pas besoin
d’explication.
Mr. De Mirabeau rassemble quelques faits arrivés depuis la mort du
Roi Guillaume jusqu’à l‘avenement de Guillaume IV au Stadhouderat,
& il en conclut, qu’on voit par là que la Confédération
Belgique sous cette direction purement Républicaine, n’étoit ni
sans prévoyance, ni sans énergie, ni sans dignité.
Eh! où est le gouvernement qui, s’il en étoit entièrement
déstitué, continueroit d’etre ?
Mais ce qu’il tache d’inſinuer par-là, sans le dire, est mieux
connu de tous mes Concitoyens.
Si l’on rapprochoit ces deux administrations sans Stadhouder, qui
ne reconnoítroit pas que dans l’une le génie de De Witt a tout
fait, & que dans l’autre la direction du dehors & surtout
du dedans de la République est devenue successivement plus
inactive & plus vicieuse.
Mon plan n’est pas d'entrer dans des détails qui tendroient à
prouver des vérités généralement réconnues, il suffit de dire, que
les gens senſés du parti de l’opposition, ont reconnu, dans la
plus grande effervescence des derniers tems, l’utilité du
Stadhouderat pour la République, & à coup sur un Étranger
excité par quelques
(...)
parce que je la respecte ! qui voyez dans le Stadhouder non le
Dispensateur des graces, mais le soutien de la République; c’est à
vous que je m’adresse, c’est pour vous que je risque de dire la
vérité.
Quel homme honnete voit avec sang froid la situation actuelle des
choses, qui ne sent pas combien il importe de prendre des mesures
sages. fermes & bienfaisantes, pour .rétablir l’ordre & la
paix dans le pays!
Livrez vous donc à votre énergie, plaidez la cause de la vertu
& de l’humanité. La vérité aura toujours de l'empire sur les
hommes, pourvu que des gens estimables osent la dire; la raison
pourquoi des intriguans sans principes, parviennent quelquefois à
une pernicieuse influence, n'est pas parce qu’on les préfére, mais
parceque des gens indifférons sur les moyens qu’ils emploient,
& accoutumés à en calculer les effets, ont souvent bien plus
de hardiesse que ceux qui respectent leurs devoirs.
Et toi jeune & aimable Prince, élèvé par une auguste mère, qui
sent la force qu'a l’éducation sur les hommes, & se trouve par
la grandeur du caractere audessus de son sexe, je ne puis
m’empêcher de t’entretenir un moment. La bonté de ton coeur se
peint dans tes regards, & la douceur
de ton caractere sur chaque trait de ta phisionomie; ah! mettez
à profit ces heureux dons de la nature.
Vous avez vécu dans un tems, dont les événémens sont autant
d’expériences; qui, si vous accoutumez votre esprit à la
réflexion, & que vous tachez de vous former de solides &
stables principes, vous serviront de guide dans l’illustre
carrièrre qui vous est destinée.
Apprenez dans cet âge heureux où le caractere se forme, à remonter
des effets à la cause; ne vous contentez pas d’apprendre à
connoître le gouvernement, mais réfléchissez sur ſa nature, &
vous sentirez qu’il n’en est pas de notre République comme d'une
Monarchie.
Dans celle-ci un Roi peut sans inconvéniens exercer une
très-étendue puissance, dans celle là les sources de notre
prospérité se déſécheront; l’énergie des ames disparoitra, si le
point d’appui de la République prédomine trop sur elle.
Persuadez-vous que la vraie gloire d’un bon Prince consistera
toujours dans le bonheur de sa patrie; que ce plus de puissance à
laquelle des fiatteurs intéressés chercheront à vous ſaire
aspirer, ne sauroit que vous être nuisible, & ne serviroit
qu’à leur avantage, puisqu’ils y trouvent, soit leur propre
grandeur, soit celle de leurs parens ou créatures, & excitent
par-là des mécontentemens
(...)
moyens de réunir les esprits; si vous aviez étudié le caractère
de la nation; si vous connoissiez le pouvoir des actions
généreuses, en un mot si vous saviez aimer votre pays ?
Avez vous jamais cherché des moyens pour appaiser les esprits, ne
les excitez vous pas par votre conduite ?
N’indisposez vous pas les gens de bien du parti contraire, qui ne
désirent qu’une vraie réconciliation, & y travailleroient
s‘ils ne reconnoissoient en vous leur ennemi commun, &
celui de la patrie ?
N’étes vous pas la cause que bien des gens s’imaginent qu’on
souhaite en secret de leur faire abandonner le pays ?
Et quelqu’absurde que soit cette idée (du moins en la supposant à
de vrais stadhoudériens) ne l’avez vous pas produite ?
Es-ce en effet si étrange que des gens simples y croyent, puisque
vos actions démentent la volonté du Prince, auquel vous vous dites
attachés?
Vous lui étes attachés...?
Vous ! qui le contrariez au lieu de le servir?
Vous ! qui nuisez à sa gloire, au lieu d’y contribuer?
Vous ! qui lui faites perdre les coeurs, que vous pouriez lui
acquérir?
Vous ! qui ne portez que le masque de l'humanité & de la
justice; vous seriez attachés au stadhouder...?
Dieu tout puissant & jusle ! Tu n'a pas voulu, selon ta
sagesse infinie,
que l’homme put approfondir le coeur de ses semblables; mais si
cela est possible, démasqué ces coeurs là, pour le bonheur de tout
un peuple!
Non, avec de pareils coeurs, on n’aima jamais sa patrie.
Avec de pareils coeurs, on ne peut être amis des Princes.
Avec de pareils coeurs on es incorrigible.
Mais rendons graces au ciel de ce qu’ils sont en petit nombre; ne
désespérons pas du salut de la patrie; ne les confondons point
avec les gens honnêtes, qu’ils confirment méchamment dans de
pareils principes.
Non, Partisans vrais & nombreux de la Maison d'Orange, je ne
vous confonds pas avec ce peu d’hommes qui péchent par le coeur
puisqu’ils agissent contre leur conscience.
Vous croyez de bonne foi que la partie adverse est à l’Etat, ce
qu’est une branche pourrie à un arbre dont il faut le débarasser.
Vous pensez réellement que le stadhouder a eu tort d’user
d’indulgence, & vous vous sentez peu d’envie, d’entrer dans
ses vues, je veux dire pour oublier le passé, à vivre en freres
avec les Partisans d’un parti que vous détestez toujours.
Je sais qu’il est bien difficile de détruire les préjugés; mais
qui ne seroit pas mortifié que des gens honnêtes contrarient si
évidemment le bien être de la République ! Je vous en supplie mes
(...)
Amis de la patrie; c’est à vous d’y répondre.
Je pressens les effets qu’ils feront sur plusieurs de ceux qui
daigneront les lire, & il m’en coute d’être mal jugé par bien
des honnêtes gens; car pour plaire aux autres il saudroit flatter
leurs vices: or c’est un art que j’ignore, & que je
n’apprendrai pas.
Celui qui blesse la vanité de ceux ci, & surtout celui qui
les démasque commet un de ces crimes qu’ils ne pardonnent jamais;
on a beau ménager les personnes, le trait de la vérité vole &
leur touche le coeur; aigris contre celui qui ne craint pas de la
dire, ils consultent leurs moyens, & savent calculer au juste
les effets du ridicule & de la calomnie.
Armes avilissantes pour celui qui s’en sert, mais dangereuses
pour ceux contre lesquels elles agissent !
Armes semblables au poignard de l’infame assassin !
Combien d’honnêtes gens ne sont pas vos victimes ?
Voilà pourquoi souvent les gens de bien se taisent; voilà pourquoi
souvent les méchans réussissent.
Mais garderiez-vous le silence, hommes droits & sincères,
Partisans respectables de la Maison d’Orange ?
Vous voyez dans toutes les villes les effets de la discorde,
n’indiqueriez-vous pas les moyens pour la detruire ?
La Patrie vous tend
les mains, chancellante elle vous crie: Sauvez-moi mes enfans
!
Et à ce cri sacré pour une ame noble & sensible, ne seriez
vous pas animés d’une vertueuse énergie ?
Oui, de pareils coeurs n‘y résisteront point. Vos liens vous sont
chers; vos devoirs vous sont connus; je ne puis plus rien vous
dire.
Ah! puissent ces voeux purs étre réalisés; puissiez vous !
seuls soutiens de la souffrante patrie, détruire les efforts du
pernicieux égoïsme & ramener la paix dans notre République.
FIN.
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